Dans les pays où les régimes sont totalitaires et dans lesquels les droits de l’Homme sont bafoués, Internet sert souvent de média alternatif permettant aux contestataires de s’exprimer librement mais non sans danger. L’apparition du Web 2.0 est venue renforcer cet usage, et permet aux peuples opprimés de disposer d’un atout pour s’informer, s’organiser, débattre et contester.
Un concept idyllique
Depuis le début des années 2000, on assiste à plusieurs révoltes exploitant Internet comme vecteur de la mobilisation. On peut citer le cas du Népal en 2005 et de la Birmanie en 2007, où la population diffuse les vidéos de la répression subie durant des contestations, qu’elles soient d’origine politique, économique ou sociale. Bien que ces deux pays aient un taux de pénétration d’Internet très faible, leurs gouvernements ont pris très au sérieux cette menace et ont procédé aux tous premiers «blackouts» (coupure d’Internet à l’échelle nationale), endiguant ainsi les différentes mobilisations. Ce n’est qu’en 2009, après les contestations des résultats de l’élection d’Ahmadinejad en Iran, que la terminologie de « révolution numérique » a été avancée. Twitter a été fortement utilisé durant ces soulèvements pour relayer la célèbre vidéo de Neda Agha- Soltan, tuée par balle au cours d’une des manifestations. Cependant une étude de Berkman Center for Internet Society (Harvard, 2009) vient remettre en cause cette idéologie de révolution numérique : d’une part les «trendsmap» de Twitter montrent que les informations circulant sur le sujet sont localisées très majoritairement en occident; d’autre part, celle-ci rappelle qu’une révolution implique un renversement du régime en place, ce qui n’a pas été le cas dans les exemples précités. Pourtant, la question se pose à nouveau durant les révolutions du printemps arabe de 2011 et très vite de nombreux journaux européens qualifient ces révolutions de «Twitter», «Facebook» ou encore «Wikileaks».
Une évolution des usages
La répression orchestrée par les différents gouvernements est immortalisée par les caméras des téléphones portables des manifestants, puis est diffusée massivement sur les réseaux sociaux. Les informations étant principalement non-textuelles, les méthodes de censure basées sur des mots-clés deviennent inefficaces et la duplication virale des données sur chacun des profils augmentent considérablement le nombre de sources à bloquer. Parallèlement aux mobilisations dans les rues, l’analyse de l’activité présente sur la toile révèle de nombreuses actions : une forte sensibilisation de la blogosphère qui relate les informations en temps réel, l’organisation de manifestations virtuelles qui se traduisent en général par l’affichage des drapeaux nationaux en photos de profils en soutien aux manifestants, la diffusion de caricatures, dessins satiriques et tubes musicaux…
Des communautés actives
Les vagues d’arrestations d’artistes et de blogueurs, ont eu pour effet à la fois de renforcer les manifestations réelles dans la rue, mais aussi de sensibiliser de nombreuses communautés tierces indépendantes de leur cause. On peut citer entre autres la diffusion par Wikileaks de nombreux documents secrets prouvant la corruption des familles au pouvoir ou encore la mise à disposition de nombreux proxys par Telecomix permettant d’accéder à des sites censurés. Les opérations des Anonymous sont celles qui ont eu le plus d’impacts : à plusieurs reprises de nombreuses attaques «DDoS» contre les sites gouvernementaux ont été organisées afin d’y diffuser à la place une lettre ouverte de solidarité envers les peuples et un appel à la révolte. On assiste alors à une «cyber-guerre» : multiplication des actions de phishing par les régimes afin de consulter les courriels des manifestants ou de supprimer les comptes Facebook. La société Facebook propulsera d’ailleurs à cette période un système d’identification social imposant à la personne qui se connecte d’identifier ses amis sur une série de photos après avoir saisi son mot de passe. Après le « blackout » égyptien, Google et Twitter lanceront le système « SpeakToTweet » permettant de publier des «tweets» vocalement par le biais d’une ligne téléphonique. L’usage d’Internet pendant ces révolutions illustre de façon très profonde l’évolution vers un monde numérique, la façon dont les acteurs peuvent se l’approprier et en utiliser les outils et réseaux sociaux pour produire une action virtuelle aux effets réels.
Elyes FEKI (M10)
Gérant, FEKI Holding
Cet article est extrait du journal MSIT Network #01.