Après des études de littérature (Khâgne, Henry IV), Anne Vicq-Appas entre au «Parisien libéré télématique» au moment du boom du minitel en tant que journaliste. Attirée par les métiers technologiques, elle travaille par la suite au développement des bornes interactives de la Cité des Sciences de La Villette en tant que chef de projets. Elle rejoindra ensuite la SSII GFI où elle prendra rapidement un poste de directeur d’agence. En 2001, elle entre chez AXA pour prendre en charge la construction de l’entité projet infrastructure. Elle est actuellement responsable du département « Projects » au sein d’AXA Tech pour la région Europe du sud (France, Espagne, Italie, Grèce, Maroc).
Vous êtes actuellement responsable de l’entité PROJECTS au sein d’AXA Tech, pouvez-vous présenter cette structure à nos lecteurs ?
AXA Tech gère les infrastructures de toutes les entités du groupe AXA. (Une quarantaine, NDLR). Axa France est la plus grosse entité qui existe chez AXA, mais nous pouvons avoir de toutes petites entités, des sortes de startups, des nouvelles activités transverses mondiales sur le web qui démarrent. Notre difficulté est de servir la plus importante entité du Groupe et ces petites entités avec la même structure, c’est un challenge quotidien. Chaque entité s’occupe de son développement applicatif ; nous n’intervenons que pour l’hébergement et l’exploitation de la solution. Tous les projets d’infrastructure sont concernés, du poste de travail jusqu’au datacenter. Aujourd’hui, cela représente un budget total de 73 M€ pour la région. Les 1500 projets annuels représentent 77000 jours/homme gérés par les 110 chefs de projets de mon équipe
Comment est née votre structure Project chez AXA Tech ?
Quand je suis arrivée, il y avait plusieurs équipes projets par domaine, dirigées par des responsables dédiés… À chaque nouveau projet, c’était le même problème : l’équipe qui recevait la demande n’était pas obligatoirement celle qui avait la capacité à faire… Cette logique de silo n’avait donc aucun fondement puisque les profils composant chaque équipe étaient équivalents ! Ce n’était absolument pas optimisé. C’est sur la conviction que le poste de chef de projets en infrastructure est un job à part entière, que nous avons construit le modèle matriciel. Les profils sont sensiblement équivalents malgré quelques spécificités. La logique de découpage en silo n’était qu’organisationnelle. Les chefs de projets ont été rapatriés dans la même équipe (environ 30 chefs de projets) dont j’étais responsable. Une équipe à taille humaine ! Le passage de 30 à 110 chefs de projets, qui s’est fait en plusieurs années avec le développement d’AXA Tech, implique cependant des modifications dans la gouvernance. Les fondamentaux sont d’avoir une méthodologie et des outils communs et partagés avec un back-office fort (référentiel, gestion de portefeuille). Le point n’est pas tant l’outil que le partage d’une méthodologie unifiée ! Nous sommes passés d’une gestion avec une feuille Excel à une gestion consolidée sur un seul outil pour AXA Tech Monde ! Il ne faut pas oublier qu’au départ, il n’y avait même pas de liste de projets définie. La construction de ce qui est aujourd’hui l’entité Projects a donc commencé par un recensement de l’activité de chacun et par le partage via un référentiel commun, tout simplement ! Grâce à cette normalisation, la cellule de chefs de projets a pris ses lettres de noblesse. Au début, les clients n’avaient pas de budget à allouer à la gestion de projet, mais au fur et à mesure, ils ont commencé à demander un chef de projets; ils avaient le choix ! La croissance de la cellule Projets s’est donc faite grâce à une demande client. L’utilité était démontrée !
L’organisation matricielle. Est-ce aujourd’hui quelque chose de vraiment performant ?
La caractéristique de notre structure est qu’elle commence à être mature. Malgré ces évolutions, elle est toujours restée sur les fondamentaux édictés au départ, il y a plus de 10 ans. Cela permet d’avoir du recul sur l’efficacité d’un tel modèle ! Dans une structure de production, la gestion de projets n’a rien d’évident. Une production gère en priorité de l’incident, pas du projet. Il est plus naturel de répondre à un besoin immédiat que de structurer la demande dans le temps. Le point d’entrée unique était un net progrès pour le client (qui lui aussi déployait une structure matricielle). En interne, les opérations n’avaient plus à se préoccuper de gérer les interactions avec les clients comme avec les contributeurs internes. Cela simplifiait la vie de tout le monde Plus cela s’est développé, plus nous avons vu les inconvénients du modèle. Le contenu du projet ne pouvait plus être suivi par le responsable hiérarchique du pool. Il a donc fallu trouver encore une nouvelle dimension, la matrice ! C’est l’émergence de la fonction de PSDM (Project and Service Delivery Manager, NDLR) fonction de pilotage opérationnel des chefs de projets en termes de delivery. Cette structure matricielle a été tellement souple qu’elle a toujours été conservée malgré les différents remaniements. Tout ce qui était lié à la gestion de projet a été intégré au pool. Cependant, la taille a eu raison de la volonté de n’avoir qu’un seul responsable de pool. Il a donc fallu scinder l’équipe en deux, les fondamentaux étant toujours identiques. Le modèle est donc clonable. Les deux pools sont spécialisés par rapport au client, pas en silo technologique !
Qu’en est-il du recrutement des ressources pour le pool de chefs de projets? Comment est-ce appréhendé ?
Aujourd’hui, le projet c’est plus de 50% de prestation externe. Assez récemment, nous avons négocié des contrats spécifiques avec nos prestataires de services. Cela nous permet de limiter à trois principales le nombre d’entreprises avec lesquelles nous travaillons. Les volumes par entreprise augmentent et nos tarifs baissent… Cette approche nous a permis d’optimiser les coûts. Nous sommes dans un département qui fait partie d’une entreprise et, à ce titre, complètement partie prenante dans la stratégie de celle-ci. Aujourd’hui, comme dans beaucoup d’entreprises, nous limitons les recrutements et faisons beaucoup appel à la prestation. L’approche, maintenant, est de réduire l’activité en s’améliorant, en s’industrialisant. Réduisant l’activité, nous gardons un volant de prestataire pour permettre plus de flexibilité et les laisser partir le moment venu. C’est pour cela que nous n’avons pas réinjecté énormément de recrues internes. Le recours à la prestation, c’est notre façon de contribuer à la stratégie de l’entreprise. J’espère bien qu’on va réduire toutes nos activités en gardant le même périmètre, qu’on sera capable de s’améliorer et qu’on aura besoin de moins de prestataires. C’est vers cela que l’on se dirige.
Vous parlez beaucoup d’amélioration. Comment est-ce que cela se concrétise sur le terrain ?
L’outil c’est le Lean management. C’est un de nos gros leviers. Nous avons commencé à le faire sur la partie back-office de l’équipe, mais je pense que le plus intéressant sera de le tester sur la gestion de projet. Cela n’a pas été tant fait que cela sur la gestion de projet, mais plutôt sur des activités de fonctionnement avec un modèle hiérarchique. Je suis impatiente de voir ce que Lean peut apporter sur un modèle plus matriciel. Le Lean, comme toutes les idées puissantes, c’est une idée toute simple. Quand tu vois comment cela fonctionne, tu t’aperçois que c’est très axé sur l’humain. Le principe directeur est que ce sont les personnes concernées qui analysent leur activité de la façon la plus pertinente, et donc contribuent à identifier et supprimer ce qui est inutile. Nous évitons le syndrome du consultant qui viendra de l’extérieur et n’y comprendra rien… Le Lean, quand ça marche, c’est hyper efficace. À côté de ça, il faut aussi rester flexible pour s’adapter à toute la nouveauté qui arrive. Le Cloud arrive et il serait dommage que quelque un qui travaille chez AXA Tech ne s’y intéresse pas. Nous y pensons, et nous y pensons même très fort ! Après, quelle forme cela va prendre, c’est encore trop tôt pour le dire.
Est-ce qu’il y a des compétences clés qu’un chef de projets se doit d’avoir ?
Absolument aucune. La meilleure preuve c’est que nos meilleurs chefs de projets ne sont pas toujours les plus expérimentés. Nous sommes convaincus que chef de projets infrastructure est un métier. Cela nous amené à sélectionner de jeunes chefs de projets sans formation particulière à une méthodologie de projets, avec des têtes bien faites. Il y en a certains, au bout d’un an, qui deviennent d’excellents chefs de projets. Pour moi, ce n’est pas uniquement une question de formation, mais de posture. La bonne posture c’est de comprendre intimement ce qu’on attend d’eux, de la part d’AXA Tech comme de leurs clients. Il est là pour écouter et comprendre les contraintes et les besoins des uns et des autres, et de mettre en place une démarche structurée pour que l’objectif soit atteint… Il y en a qui le comprennent immédiatement et cela fait d’excellents chefs de projets. Évidemment, il faut être structuré et capable d’écrire, mais je ne pense pas que la formation soit le seul critère de sélection, loin de là. Il faut aussi avoir un bon relationnel et un intérêt pour la technologie. Un chef de projet c’est un facilitateur, quelqu’un qui arrive à s’effacer avec bonheur devant son projet afin de le mener à bien.
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Anne Vicq-Appas (M11), Head of projects – South Europe Region, AXA Tech
Cet article est extrait du journal MSIT Network #02.